La gouvernance des streams…

Le rap vient de loin et il a traversé bien des époques, toutes différentes les unes des autres. À chaque période ses qualités et ses défauts, et l'ère du Streaming que nous traversons
aujourd'hui ne fait pas exception.
En effet, le streaming a profondément chamboulé l'organisation de l'industrie musicale, et il
suscite aujourd'hui un intérêt qui peut paraitre démesuré à certains égards. Cependant qu'on le veuille ou non, le streaming est aujourd'hui incontournable, et c'est ce qui me pousse à écrire cet article.
Je vous propose donc de voir en quoi, de mon point de vue, le streaming a, à tord, bousculé des valeurs essentielles et comment cela a détourné l'industrie musicale de sa mission principale. Bonne lecture !
Ventes ≠ Talent
Tout d'abord, l'une des plus grosses erreurs que nous pourrions faire concernant le stream est de considérer qu'un nombre conséquent de ventes est synonyme de talent. Plusieurs points me poussent a affirmer que ces deux notions ne peuvent et ne doivent pas être systématiquement
associées.
Tout d'abord, je dirais que l'industrie musicale est quelque chose d'organisé et
d'institutionnalisé, et donc de ce fait assez facile à décrypter. Plusieurs rappeurs ont avancé cette
idée, notamment Vald sur le morceau Rechute : "Arrêtez de vous persuader qu'j'suis un génie,
j'suis qu'une arnaque j'connais les codes qui font platines". Ici il témoigne donc d'une vision
assez froide mais pragmatique : un artiste assez malin peut vendre uniquement en suivant les
codes et la tendance. Ajoutons à cela le rôle de plus en plus important des Ghostwriters et
Topliners, sujet d'actualité qui fait débat. Ce qui m'intéresse ici, c'est ce que cela nous révèle de
la définition d'un artiste à l'ère du streaming. De manière purement subjective, je dirais qu'un
artiste est une personne capable de transmettre, de diffuser, par le biais de sa créativité,
l'émotion à ceux qui sont prêts à la recevoir. L'artiste cherche donc à toucher les autres, de par
son vécu ou toute autre chose qui permettrait à l'auditeur de s'identifier. (A partir de là j'ai pris
de grandes libertés). Qu'en est-il alors du chanteur qui fera appel à un Top liner pour trouver une
mélodie ou à un Ghostwriter qui écrira son texte ? L'initiative vient indéniablement du chanteur,
mais l'oeuvre sera vidée de toute substance, presque impersonnelle, et c'est le coeur même du
problème. J'attache personnellement de l'importance au fond plus qu'à la forme de l'oeuvre, mais
cela signifie-t-il qu'un chanteur se faisant ghostwriter perd son statut d'artiste ? Ou alors peut-on
considérer qu'un simple interprète peut légitimement se considérer artiste ? Je ne peux pas
donner de réponse universelle à ce sujet, il revient à chacun d'entre nous, en tant qu'auditeur, de
s'interroger sur ce qui fait l'essence même d'un artiste à nos yeux. Quoi qu'il en soit, le streaming et la nécessité de produire toujours plus de musique dans des délais toujours plus courts poussent de plus en plus de rappeurs à avoir recours aux services cités précédemment, au dépens de leur authenticité.
Le streaming a également permis la banalisation de la triche, même si elle n'est pas née avec les streams. En effet, à l'époque des CDs déjà, certaines rumeurs affirmaient que les grosses maisons de disques n'hésitaient pas à commander elles-mêmes des centaines et des centaines de disques pour gonfler les chiffres de ventes. Si cette pratique semblait marginale, l'achat de Stream est beaucoup plus accessible. En partant de ce constat, il est évident que le nombre de ventes n'est pas un indicateur de qualité, et en réalité ces deux données sont indépendantes l'une de l'autre.
Ventes ≠ Qualité
Le deuxième point porte sur la séparation des termes "qualité"' et "ventes". Voila maintenant quelques années se repend une nouvelle mode qui a pour but de juger une œuvre à ses ventes. Cela suit la partie d'avant car c'est comme une continuité : l'œuvre vient de l'artiste. Donc voyons en quoi, pour moi, un album avec 500 ventes en première semaine peut être meilleur qu'un autre avec 50000 ventes.
Pour commencer, je vais vous donner ma définition d'un bon album. Une personne qui s'estime artiste est plus ou moins doté d'un certain talent, une facilité à chanter, écrire, interpréter… Cette personne utilise ça pour fabriquer son art, donc il est primordial qu'il y mette toute sa force, toute son énergie. Seulement, il arrive un moment où la personne n'a plus rien à dire, plus d'inspiration etc, que ce soit permanent ou non. Selon moi la qualité primordiale d'un album est l'innovation, ne pas faire ce que public attend de celui-ci, et l'un des points négatifs des streams c'est que ce domaine rend les albums plus facile à sortir, la cadence s'est accélérée. De ce fait beaucoup de rappeurs sortent des albums alors qu'ils n'ont plus rien et le résultat s'en retrouve bâclé. Une fois cette notion établie, nous pouvons affirmer ce que nous avons dit au début. Les albums qui rentrent dans la catégorie énoncée juste avant sont donc pour moi des projets de mauvaise qualité, seulement, c'est un cercle vicieux. Le public attend quelque chose que le rappeur a déjà fait, l'artiste s'exécute et les gens sont contents, l'album fait beaucoup de stream donc les nouveaux vont écouter, aimer car le rappeur est dans sa zone de confort, et vu que ça fonctionne il va par la suite faire les mêmes albums à chaque fois. Donc l'album fait pleins de stream/vente, l'artiste se fait plein d'argent néanmoins l'album est mauvais. Dans le schéma inverse un artiste décide d'innover et va à l'encontre de son public, il change de style. L'album sera mal accueilli et même rejeté donc il va flop et ne fera que très peu stream, pourtant l'album est bon. Je pense que le meilleur exemple de ce cas reste l'album Lithopédion de Damso qui est extrêmement controversé. Alors attention, je ne dis pas qu'un album dans lequel un artiste innove est nécessairement bon, je prends l'exemple d'un projet réussi. Pour résumer, nous avons deux œuvres : la première qui est mauvaise mais qui est aimée et plébiscitée car elle suit la tendance, et la deuxième qui est bonne mais rejetée car elle suit la créativité de l'artiste : les streams ne font pas la qualité.