Lefa, les entrailles de la Fame

02/11/2019

A l'occasion de la sortie du projet Fame de Lefa, petite plongé dans l'univers du rappeur à travers les messages portés par l'album.

Qui est Lefa ?

S'il s'est imposé dans le paysage rap francophone, Lefa reste néanmoins inconnu aux oreilles de beaucoup. Si son nom ne vous dit rien, vous avez forcément déjà entendu sa voix ; en effet, il a fait partie de la très célèbre Sexion d'Assaut. Alors que le groupe était à son apogée, Lefa a brusquement quitté le collectif en 2012, pour des raisons personnelles. 

"Je me présente Karim Fall, Franco-Sénégalais"

Comme l'a dit Gims dans son livre en 2015 "C'est un amoureux de la musique bien qu'il ait décidé de prendre du recul. Ça a toujours été un gars comme ça Lefa". Et en tant que passionné, il est revenu. Après avoir teasé plusieurs extraits la même année, le rappeur a sorti le projet "Monsieur Fall" le 26 janvier 2016. Son retour était attendu par de nombreux fans et nostalgiques du groupe. 

De quoi on parle ?

Après Monsieur Fall en 2016 suivi de la mixtape #TMTC la même année, Visionnaire en 2017 et 3 du mat l'année d'après, Lefa attaque 2019 avec « Fame ». Sur des morceaux chantés, il s'accompagne de rappeurs comme Vald ou Dosseh, tandis que sur des titres plus techniques il a fait appel à Megaski, Caballero & JeanJass ou encore Tayc. Lefa collabore également sur un track avec son ami de toujours et ancien membre du duo The Shin Sekai, Abou Tall

Avec une imagerie très soignée, notamment au niveau des clips (probablement la plus travaillée du moment), Lefa se présente comme un rappeur incontournable. Depuis son retour, il s'est fixé des objectifs, et cet album est la continuité parfaite de cette ligne directrice, une autre pierre à l'édifice. 

"J'ai dis que j'arrivais, mes fans m'attendent, je peux pas leur mentir"

Depuis son retour, Karim Fall aka Lefa a établi 3 objectifs :

  • Faire de l'argent

  • Reconquérir son public

  • Bâtir son Empire

Faire de l'argent

L'argent, devenu une raison au delà d'être une passion pour beaucoup d'artistes de notre époque, est un sujet qui est de plus en plus traité par les artiste, bien qu'il reste parfois tabou. De fait, cela a créé des écarts entre la réalité de leur train de vie et l'imaginaire renvoyé par les rappeurs eux-mêmes. Certains se sentent même obligés de prouver qu'ils n'inventent rien, comme Vald l'a fait dans Ignorant : "J'suis vraiment un rappeur, je joue pas les rappeurs, j'ai vraiment des diamants, j'ai vraiment des haters, j'suis vraiment le amant préféré de ta soeur"

Lefa aborde le sujet de manière décomplexée, donnant clairement ses motivations. Il explicite particulièrement cette idée dans cet album, et cela se ressent bien plus. Le rappeur explique notamment dans le titre Course poursuite qu'il a connu la pauvreté et n'a pas toujours eu les moyens de s'acheter ce qu'il voulait : "j'me rappelle l'époque ou je taffais au supermaket, quand je comptais les caisses mon putain de bosse me guettait, à la fin du mois je disais à mon père de pas s'inquiéter, comprends que je peux pas claquer un salaire dans une paire de basket"

Pour lui, l'argent est également un moyen de s'affranchir. Le rappeur souligne ainsi : "on avait beaucoup moins de haters quand on avait zero zero maille". Et tout au cours de ses projets, Lefa prend grand soin de préciser à quel point il abhorre les jaloux, haineux, et autres hypocrites. Cependant, il préfère s'en tenir à ses affaires et ne pas accorder trop d'attention à ces personnes, un des luxes que lui permet l'argent. Plus généralement, il n'en a que faire de ce qu'on peut penser de lui, répétant à de nombreuses reprises que le fait que l'argent motive son retour est normal, et que cela ne peut pas être critiqué. Il l'exprime notamment dans le morceau Spécial (en featuring avec Dosseh) : "Bien sûr j'le fais pour le bénéf, c'est quoi le délire j'suis un bénévole ?"

J'suis venu faire mon beurre, n**** j'suis venu faire mon beurre" 

C'est un des aspects que j'apprécie chez Lefa, il est sincère, quitte à parcourir des terrains sur lesquels d'autres rappeurs n'ont pas osés s'aventurer. Sa façon de penser peut être rapprochée de celle de Josman puisque les deux véhiculent à peu près les mêmes valeurs, affichant ouvertement leurs motivations, partiellement financières. Cette démarche honorable mérite d'être soulignée tant elle est rare

Reconquérir son public

Comme évoqué précédemment, Lefa faisait partie de la Sexion d'Assaut, et ce durant son apogée (il est notamment présent sur les célèbres Désolé ou Avant qu'elle parte). Il était donc logique que le rappeur ait une certaine fanbase qui l'attende. Nous avons notamment pu le voir en 2015 lorsque le retour de Lefa était encore incertain du côté des auditeurs : l'engouement était réel et tout le monde réclamait son grand retour.

Lefa exprime aujourd'hui sa volonté de parvenir, en solo, à consolider une fanbase construite autour de son ancien groupe. Pour le coup, ce sujet est davantage évoqué dans son dernier projet; peut être est-ce un objectif plus récent pour lui. Son envie de conquérir le public est observable tout au long de sa tracklist : en effet, nombreux sont les morceaux interprétés dans un registre chanté, associés cependant à l'écriture soignée de Lefa. Parallèlement, il offre à sa fanbase ce qu'elle attend avec des titres purement rappés. Après tout, Karim Fall a quand même, dans le milieu des amateurs, la réputation de faire partie des meilleurs kickeur du game actuel (s/o Mehdi Maïzi qui le dédicasse dès qu'il le peut).

"Le public attend mon retour avec impatience, ouais, n**** j'suis comme un prêt" 

Dans la continuité de ce qui a été dit précédemment, on peut avancer que l'argent, si il le motive à rapper, n'a aucune influence sur ses valeurs. En effet, le rappeur explique de nombreuses fois qu'au delà de simplement retrouver son public d'avant, il avait une volonté de ne pas le décevoir : "j'ai dis que j'arrivais, mes fans m'attendent, je peux pas leur mentir" dans le son Fame. Si l'argent était tout ce qui lui importait, Lefa aurait aisément pu faire des morceaux similaires à Paradise son featuring avec Lomepal sur le projet précédent, plus gros hit de l'album. Il le démontre bien dans le morceau éponyme lorsqu'il dit : "qu'ils s'inquiètent pas, si j'ai fais 3 du mat c'est pas pour revenir avec du com' après" .

Cependant, je me suis posé une question à l'écoute du projet : le fait d'assumer vouloir plaire à son ancien public n'est-il pas au fond un prétexte pour continuer à produire sa musique sans qu'on ne lui reproche de ne pas réellement innover ? Sans porter aucun jugement, faire du fan service, ne serait-ce pas l'unique solution pour un artiste qui ne souhaite pas sortir de sa zone de confort ?

Cependant, on peut également voir cela comme un désir de créer autour de sa musique un univers plutôt limité mais très efficace, meilleur moyen d'imposer son style. Après tout, s'affranchir des codes, s'imposer, être identifié en tant que rappeur n°1, n'est-ce pas le but de Lefa ?

Bâtir son empire

Une des thématiques récurrente du rap Français, c'est une volonté de marquer l'histoire, au delà des limites même du rap. Que ce soit un Nekfeu avec "J'suis comme une bulle de champagne venu d'en bas je veux crever à la surface" ou encore "Les grands hommes font des grandes œuvres, on dort tard, on dort peu donc on est cernés, on finira parmi les lleurs-mei. De loin les portes avaient l'air fermées. La haine se transforme en dalle, la dalle se transforme en réussite" de Ninho, cet objectif est partagé par beaucoup. De la même manière, Lefa a pour ambition d'être reconnu, par les habitués de son style comme par les néophytes.

Dès l'introduction du projet, Lefa expose clairement ses ambitions, et ce sujet va revenir de manière très récurrente au fil des morceaux, jusqu'en être redondant. Cependant, si ce discours a déjà été entendu chez presque tous les rappeurs français, Lefa a un angle particulier. Pour lui son couronnement est inévitable, cela prendra peut être du temps mais c'est une certitude. Il se place comme un élu dont l'ascension à venir est indiscutable, une sorte de messie du rap.

"J'suis venu marquer l'histoire avant de fermer les stores"

Cet angle assez particulier dans la manière de percevoir, peut notamment être retrouvé chez Lomepal, bien que chez ce dernier cette notion soit beaucoup plus développée. Depuis le début de la carrière de Lomepal, celui ci se présente comme une sorte d'élu, tandis que chez Lefa ce mode de pensée s'est réellement révélé dans Fame. C'est d'autant plus surprenant quand on compare cette vision à d'antérieurs discours de l'artiste.

D'ailleurs, cette volonté d'être le numéro 1 est centrale dans l'album, le message est parfaitement clair tant il est développé. Puis, associer subtilement un thème à un album est une marque de fabrique de Lefa.

Points négatifs

Même si le projet de Lefa est particulièrement réussi, il n'est pas exempt de petits défauts.


Le premier point qui a retenu mon attention est le choix de single qui a été fait pour promouvoir l'album. Fame, morceau très rap, et Bitch dans le même registre en feat avec Vald ne sont pas représentatifs de l'album dans sa globalité. L'artiste a donc choisi de ne mettre en avant aucun des morceaux plus ouverts qui composent le projet, et se faisant, sacrifie la fanbase mainstream que lui ont apportés les morceaux avec Lomepal ou Orelsan. Cette volonté de ne pas mettre en avant les titres qui auraient pu toucher le plus de monde est résumé très simplement dans le morceau Sors de ma tête : "me dit pas que j'ai pris des sous boy, j'aurais pu gagner le double"


En second point, je me suis arrêté sur un dosage peu clair de l'ego trip, dans cet album particulièrement. En effet le projet de bâtir son empire est le sujet qui revient le plus, seulement sur beaucoup de morceaux il avance son positionnement face à tous le chemin qui lui reste à accomplir. D'un côté, nous avons homme rempli de certitude et d'un autre le même homme rempli de doute. Est-ce que cela révèle un pan de la personnalité de Lefa qu'il nous laisse entrapercevoir dans sa musique ou simplement une incohérence ?

Enfin, le dernier défaut que j'ai trouvé à l'album est dans le discours même du rappeur. En effet, Lefa se place - à juste titre - comme un "ancien" du game, et il regarde avec une certaine hauteur le reste du paysage rap "Pourquoi j's'rai en compet' avec eux ? Chacun son tour : moi j'l'ai d'jà vécu"". Mais la limite entre s'appuyer sur son expérience pour donner des conseils aux plus jeunes, et critiquer systématiquement la nouvelle génération est fine. Par moment dans le projet, Lefa semble se placer en maître, compétent pour distribuer les bons et mauvais point. Bien que ce discours fasse partie de l'ego trip, c'est une critique qui lui avait déjà été faite par le passé, et entendre une fois de plus le même rejet d'une partie du rap actuel est franchement dommage.

Conclusion

Malgré quelques défauts, Fame est le meilleur album de Lefa. Depuis son retour en 2015, il n'a pas eu peur d'essayer différents styles plus ou moins efficaces, jusqu'à trouver sa recette au moment de 3 du mat. Fame apparaît donc comme une continuité, un aboutissement de tout le travail entamé à l'album précédant. Je ne peux donc qu'être très curieux pour la suite de sa carrière et espérer que ce projet fonctionne bien. Lefa continuera-t-il à nous dévoiler les entrailles de la Fame ?

Rédacteur : Anatole

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