Lomepal : Jeannine, du prince au roi déchu

Dans son deuxième album énigmatique nommé Jeannine, sorti le 7
décembre 2018, le désormais charismatique Lomepal va radicalement à l'encontre
de son discours proclamé dans ces précédents et nombreux projets, notamment le
diptyque formé par les EP Seigneur et Majesté, dans lesquels il était en quête de « la
couronne, le sceptre et l'trône ».
En effet, dans ces derniers, Lomepal exprime sa volonté viscérale d'être un
rappeur prodige, surpassant ses confrères concurrents en utilisant à tout prix une
technique irréprochable digne d'un puriste, par l'intermédiaire de ses rimes multi-
syllabiques exécutées à merveille, ses jeux de mots ou encore ses placements
parfaits. Autrement dit, son unique objectif est « juste d'être le plus fort » et d'
« exprimer une culture rap, par le rap, pour les rappeurs. Un truc assez fermé ».
L'égo trip est également omniprésent dans ces deux projets, étant donné
que le rappeur parisien émet grossièrement son envie d'avoir des femmes à ses
pieds et de l'argent à profusion, tout en vantant sans cesse ses mérites, certain que
« son succès est prévu » puisque d'ores et déjà à cette époque il : « représente
l'avenir ». Effectivement, il avait « la rage d'être reconnu pour un talent » à force
d'avoir essuyer les critiques au tout début de sa carrière et avait pressenti que « les choses allaient changer » tôt ou tard. Ce besoin de reconnaissance était aussi synonyme d'une revanche sur son « enfance compliquée »
Puis, son couronnement tant attendu a enfin eu lieu lors de l'année 2017,
avec son premier album, répondant au nom de « Flip », plus mainstream, grâce à
l'usage du chant maitrisé et des instrumentales, à la fois planantes et entêtantes. Par
conséquent, « le jeune prince » obtient ce dont il a toujours rêvé : « Devenir le fils de
pute le plus riche de la machine / Faire des succès à la chaîne » annonce-t-il dès le
premier titre de son second album.
Cependant, cette réussite populaire fulgurante présente également des
inconvénients considérables et résulte donc d'émotions paradoxales. C'est justement
ce contre coup du succès qui est abordé dans Jeannine. Le public découvre alors le
rappeur sous un tout autre jour, voire même aux antipodes du Lomepal excentrique
connu dans « Flip ». Il préfère donc délaisser ses personnages fictifs au profit de
« son vrai lui » comme l'atteste les paroles suivantes : « J'suis un boss en comédie
mais j'veux plus m'servir de ce don » issues du son « Le lendemain de l'orage ».
D'ailleurs, Lomepal a même hésité à renoncer à son nom de scène, fondé
sur l'homophonie, pour prendre sa véritable identité, soit Antoine Valentinelli, en tant
qu'artiste, étant lassé des jeux de mots.
Ce second opus est alors davantage introspectif que le précédent en
touchant au plus profond de l'intimité d'Antoine, quitte à remuer les souvenirs
douloureux de sa famille, notamment de son oncle par exemple.
Ce n'est pas s'en rappeler le parcours tumultueux de l'un de ses invités sur
l'album « Jeannine », soit Orelsan. Ce dernier racontait sa vie ennuyante, pourtant si
commune, dans sa ville natale de Caen, dans son premier album intitulé « Perdu
D'avance ». Néanmoins, le rappeur normand était empli d'ambition quant à son futur.
Puis, dans son deuxième opus, c'est-à-dire « Le chant des sirènes », il accède à la
célébrité espérée, mais comprend en même temps les travers de celle-ci, à savoir
les gens qui agissent par intérêt, le personnage du rappeur qui se confond à la
personne réelle, entre autres.
Retour sur l'itinéraire d'un jeune prince devenu finalement un roi déchu.
I. La pochette

Au premier coup d'œil, la pochette de Jeannine, bien que cette dernière soit
signée une nouvelle fois par le talentueux designer graphique Samuel Lamidey, qui
peut être plus connu sous le pseudonyme de « Rægular », après avoir été à l'origine
des visuels de Cyborg de Nekfeu et d'Une Main Lave l'Autre d'Alpha Wann à titre
d'exemples, se distingue par sa couleur turquoise, à l'extrême opposé de la cover de
Flip, qui se caractérise par son fond rose bonbon, propre à l'innocence et au
dynamisme présent sur ce premier projet.
Ainsi, l'arrière-plan bleu prend une valeur chimérique et de véracité,
rappelant au passage le titre « La vérité » en featuring avec Orelsan, d'un point de
vue positif, d'une part. D'autre part, d'un angle davantage pessimiste, une mélancolie
profonde, à l'instar de Georgio qui exposait avec sincérité et pudeur sa dépression
dans son premier album studio intitulé « Bleu Noir », qui aborde ces mêmes couleurs
sur sa pochette sobre et sombre.
Cette ambivalence, définissant tant l'état d'esprit actuel de Lomepal, prend la
forme de la mer. En effet, cet élément naturel azur peut être autant paisible
qu'imprévisible. L'océan est omniprésent dans l'art de Lomepal, il est aussi bien
représenté dans le clip de « Trop Beau » ou utilisé en tant que métaphore dans le
morceau « Dave Grohl », à en croire les paroles suivantes du troisième couplet :
« On s'est reconnu dans l'océan / Puis on est partis s'embrasser loin des autres /
Juste elle et moi dans une barque ».
De plus, on remarque que Lomepal renonce à son côté narcissique, en
choisissant de rester dans l'ombre et de ne pas faire face au spectateur. C'est alors
une possible connotation à son mal être physique, qu'il exprimait d'ores et déjà dans
le titre « Lucy », issu de l'album « Flip » : « à l'extérieur, j'suis répugnant, à l'intérieur,
j'suis magnifique ».
Par conséquent, le regard sa grand-mère Jeannine, décédée en 2000, à
laquelle il rend un bel hommage par le biais de cet album, est mis en avant. Cela
témoigne d'une probable volonté de refléter l'âme de sa grand-mère au fur et à
mesure des morceaux, en sachant que : « les yeux sont le miroir de l'âme ».
II. «Quelqu'un qui accepte la folie de quelqu'un est nécessairement fou.»
Antoine est bercé depuis son enfance par les anecdotes familiales, plus
particulièrement par les histoires, dignes d'un roman d'aventure, de Jeannine, qu'il
n'a pas eu le temps de connaitre assez.
Celles-ci lui sont racontées encore et toujours par sa mère, de son véritable
nom Pascale Valentinelli, à tel point qu'il « les connais toutes déjà par cœur »,
affirme-t-il dans « Plus de larmes ». Ainsi, le rappeur, à l'occasion de ce nouvel
album, a endossé le rôle d'un reporter en enregistrant enfin ces témoignages.
L'idée sous-jacente de la citation en titre, extraite de la quatrième piste, c'est
qu'à l'instar de sa maman, Antoine a toléré la folie mentale de sa grand-mère et par
inadvertance est lui aussi jugé fou.
C'est pourquoi, Jeannine représente le symbole de la démence vue sous un
angle mélioratif par Lomepal, outrepassant ses séjours en hôpital psychiatrique.
Cette joyeuse folie déjà décelable dans « Flip », qui lui avait permis de conquérir un
large public, se retrouve également dans son processus de création et dans ses
concerts, dans lesquels il se donne corps et âme sur scène.
Ainsi, le morceau « Beau la folie » s'impose comme « le plus important de
l'album », en traitant de la thématique principale du projet et sonne tel un hymne à la
démesure, avec pour source d'inspiration sa grand-mère Jeannine.
Ce son personnel exalte les côtés positifs de cette différence, pourtant mal
perçue et rarement acceptée par la société, synonyme de « machine » selon
Lomepal. Effectivement, Jeannine possédait « une force que plein de gens n'avaient
pas » d'après son petit-fils, en plus d'une âme insouciante et rêveuse, en étant prête
à suivre le soleil dans l'espoir d'avoir « une vie merveilleuse nouvelle ».
Antoine se livre alors à cœur ouvert en évoquant également les rapports
parfois difficiles entretenus avec sa famille, notamment sa grande sœur qu'il n'a pas
vu « depuis dix ans » ou bien son grand-père pour lequel il n'a « jamais eu
d'amour ». Ce titre s'apparente à un exutoire pour le rappeur qui n'hésite pas à
révéler ses secrets intimes.
Néanmoins, la dualité de Lomepal fait qu'il n'accepte pas forcément cette
folie en qualifiant régulièrement son cerveau de « malade », « cassé », « saturé » ou
plus récemment de « disloqué » dans le son « Ne me ramène pas ». En effet,
Lomepal semble toujours avoir eu un esprit torturé en ayant vécu une phase avec
« pleins de tocs, avec pleins de choses ».
Cette notion de caractère irrationnel se retrouvait d'ores et déjà dans l'EP
« Seigneur », lorsqu'il se sentait « seul, coincé entre le réel et la démence », en se
mettant à douter d'absolument tout, à la manière du philosophe Descartes.
C'est malheureusement encore le cas à l'heure actuelle étant donné que son
« cerveau repasse toujours les mêmes films en boucle comme une vieille salle de
cinéma » annonce-t-il dans « Le lendemain de l'orage ».
De plus, il a eu aussi tendance à être très cartésien en cherchant à avoir des
réponses à ses nombreuses questions, comme il le confie lors d'une interview, en
pensant que l'ensemble de ses faits et gestes étaient prémonitoires. Mais il parvient
à s'apaiser petit à petit désormais en ayant trouvé la clé, c'est-à-dire : « accepter que
la vie c'est des questions sans réponses ».
Finalement, Antoine se sent différent de la plupart du commun des mortels
en réfléchissant perpétuellement. Ce caractère instable si particulier peut favoriser
les rencontres et intéresser ses proches dans un premier temps.
Effectivement, sa bande d'amis, comprenant à titre d'exemples le duo de
rappeurs belges JeanJass et Caballero, le groupe Fixpen Sill ou encore son
colocataire et backeur Yassine, reste indéfectible en le soutenant sans cesse dans
ses projets et en l'accompagnant sur ses tournées comme le prouvent ces paroles :
« J'ai tous mes potes dans l'bus, sur scène, on resserre les liens » de « Cinq doigts »
ou bien « l'amour des collègues c'est un moteur de Ferrari » dans « Ma cousin ». Il
va donc jusqu'à considérer ses proches comme des membres de sa propre famille.
Au contraire, dans un second temps, l'amener à la solitude, à en croire les
paroles suivantes issues de « Mômes » : « T'es différent des autres, on en a rien à
foutre, alors tu te sens seul, seul, même dans la foule », puisque la sensation
d'incompréhension s'accroit le plus souvent en communauté. C'est d'ailleurs un
sentiment partagé par son ami Nekfeu, qui révèle dans « Risibles Amours » : « Je ne
me sens jamais aussi seul que quand la fête bat son plein ».
Malgré la présence de son entourage, le passé d'Antoine, dans lequel il
passait « des millions d'heures seul dans le noir » assume t-il dans « Évidemment »,
le rattrape et se répète à présent, car une phrase similaire se retrouve dans « Plus
de larmes » à savoir : « rideaux noirs dans l'appartement (seul) ». Il se retrouve alors
obligé d'apprendre à vivre avec sa tristesse, soit sa nature profonde inaliénable. La
personnalité de Lomepal mêle donc paradoxalement l'altruisme et l'isolement.
L'antithèse entre les termes « seul » et « ensemble », qui s'enchainent dans le
deuxième couplet de « Plus de larmes », renforce cette idée.
III. « La routine dans le célibat »
« Quand j'étais plus jeune, je n'étais pas un très grand séducteur. J'étais
plus un jeune romantique pathétique » déclare Lomepal durant une interview
introspective. Depuis cette jeunesse marquée par son rapport difficile à la gente
féminine, ses relations sentimentales ont relativement changées et évoluées, à
cause de son statut de rappeur auréolé par les lumières artificielles.
Effectivement, il avoue enchainer les « relations superficielles » et
éphémères, afin de se venger des femmes qui le considérait généralement comme
un bon ami sans plus auparavant. Ce cercle vicieux est mis en exergue avec ses
paroles : « chaque semaine, je couche avec une nouvelle fille que j'connais pas /
Est-c'que j'essaie d'me venger, d'me venger de toutes ces années où j'plaisais moins
aux filles qu'les mecs dérangés » provenant du morceau « Évidemment »..
De plus, il pose la question rhétorique au refrain : « Pourquoi vous voulez
m'aimer maintenant ? », on comprend qu'il se méfie désormais des femmes
assimilables à des groupies, s'intéressant à lui en raison de sa soudaine notoriété,
comme le laisse sous-entendre cette phrase provenant de « Cinq doigts » :
« Regarde-moi te demander ton num' avec les yeux vides, hey / Tu m'l'aurais jamais
donné mais comme j'suis dev'nu un peu connu / Tes principes m'ont laissé un
bonus ».
Malgré l'apparente liberté qui se dégage au prime abord du célibat, Lomepal semble se lasser de « la routine dans le célibat » et principalement d'être dans la peau d'une rock star, entourée en permanence de femmes fanatiques..
En effet, la fâcheuse tendance de ces dernières à vouloir rentrer en contact
avec le personnage public de Lomepal et non pas avec sa personne en tant telle,
Antoine Valentinelli à proprement parler, n'a rien arrangée au fait qu'il soit mal à
l'aise dans son corps. Il en résulte donc une perte d'estime de soi, puisque l'idolâtrie
n'est pas un sentiment d'ordre amoureux.
Au fil des années qui passent, Antoine est décidé à ne plus vouloir agir au
gré de ses pulsions primaires. Pourtant, Lomepal garde une vision pessimiste vis-à-vis de ses relations sentimentales, qu'il pense destinées inéluctablement à l'échec, comme le laisse transparaitre son usage à plusieurs reprises du dicton « c'était trop beau pour être vrai ». Il est alors en vérité un amoureux transi dans l'attente indéfinie de son « âme sœur », comme il le susurre avec rancœur à la fin du titre « Dave Grohl ».
D'ailleurs, il imaginait avoir enfin rencontré cette personne idéale durant le
mois de juillet dernier, mais ses doutes préétablis se confirment puisque leur relation
a duré seulement le temps d'un baiser, car la jeune femme était déjà en couple. Le
rappeur parisien garde alors au fond de lui des questions restant en suspens et la
sensation de « vide » s'intensifie.
C'est pourquoi, il tente de combler tant bien que mal ce manque affectif avec
de nombreux projets et des rêves plein la tête. Il tient à ne pas être le simple
spectateur de sa propre vie, en étant passif et inactif. Il fait justement allusion à son
besoin d'adrénaline permanent lorsqu'il dit : « j'aurai toujours besoin d'avoir quelque
chose à faire, toujours besoin d'être stressé et d'avoir des objectifs ». C'est donc un
artiste à la fois hyperactif et hypersensible.
IV. Conclusion
Pour conclure, par l'intermédiaire de ce dernier album en date, Lomepal a su
faire preuve d'audace en renouvelant les codes traditionnels du rap à sa manière,
puisque son style musical à l'origine purement rap, avec une tendance davantage
égotrip, se mêle harmonieusement à des genres opposés, tels que la variété et la
pop. Sa prise de risque, en faisant un nouvel opus aux antipodes de son précédent
projet « Flip », pourtant triomphal, s'avère donc être payante et c'est tout à son
honneur. Dans les textes travaillés et réfléchis de Jeannine, Lomepal est parvenu à
se mettre à nu en dévoilant ses failles personnelles, ce qui l'humanise et le rend
davantage accessible.
D'autre part, je vous invite à méditer sur cette citation développée de
Diastème, résumant en partie, la psychologie actuelle d'Antoine Valentinelli :
« Quand on est différent on est seul. On ne peut rien faire contre ça. Les gens
t'adorent au début, parce que tu es différent, tellement pittoresque, puis ils finissent
par se lasser, se lasser de ta différence, de tes contradictions, de ta colère, se lasser
et avoir peur. Les gens ont peur de ce qu'ils ne comprennent pas ».
IV. Bonus
Mon Top 3 :
1) Évidemment
2) Dave Grohl
3) Trop beau